Les
effets incertains du geste positif d’Obama envers Cuba/Par Renée Fregosi, Directrice de recherche en science politique à l’IHEAL-Creda Paris-III-Sorbonne nouvelle.
Le
Monde | 20/12/14
Depuis
la poignée de main entre Barack Obama et Raul Castro aux obsèques de Nelson
Mandela en 2013, on pouvait supposer une volonté réciproque de rapprochement.
C’est devenu manifeste depuis mercredi lorsque les deux présidents ont annoncé
simultanément, dans des messages séparés à Washington et à La Havane, leur
accord sur des mesures concrètes pour un changement historique dans les
relations entre les deux pays. Libération par Washington des trois agents
cubains prisonniers aux Etats-Unis depuis 1998 et celle, en retour, de Alan
Gross, emprisonné à Cuba depuis 2009, et mesures d’assouplissement visant la
levée de l’embargo et la libre circulation des personnes.
Barack
Obama a déclaré en espagnol : « Nous sommes tous Américains », inscrivant
subrepticement le rétablissement progressif des relations diplomatiques avec
Cuba dans la ligne du président démocrate Monroe qui, en 1823, déclarait à
l’encontre des prétentions européennes sur l’hémisphère « l’Amérique aux
Américains ».
M.
Obama a en effet reconnu l’échec de la politique américaine au cours des
cinquante dernières années. Alors que la rupture avec Cuba et l’embargo imposé
depuis 1962 à l’île visait à faire pression en faveur d’une ouverture politique
et économique, Barack Obama a observé que cette stratégie avait été
contre-productive, contribuant à la poursuite de la politique et de l’économie
autoritaires.
Les
conséquences de la levée de l’embargo seraient en effet importantes.
Economiques d’abord, et en premier lieu pour les capitaux nord-américains qui
pourront s’investir dans tous les secteurs, comme ils l’ont fait au Vietnam
après la normalisation des relations entre les deux pays, tandis que les
Européens étaient tenus en lisière. Pour les Cubains, qui verraient leurs
conditions matérielles s’améliorer au quotidien.
D’autant
que l’accord entre les Etats-Unis et Cuba survient au moment où l’économie du
Venezuela, qui maintenait Cuba sous perfusion, est dans une situation
catastrophique du fait de la gestion chaviste calamiteuse et de la baisse des
prix du pétrole. Si les Etats-unis se substituent au Venezuela, dont les
transferts de fonds actuels s’élèvent de 4 à 5 milliards de dollars par an,
Cuba verrait fortement augmenter ces flux financiers.
Opposition
farouche
Mais
l’achèvement de cette nouvelle politique promue par Obama risque de se heurter
au vote du Congrès américain, désormais à majorité républicaine. On connaît les
fortes réticences de la part d’une grande partie des républicains, partisans
obtus de la mano dura (« main dure ») comme on dit en Amérique latine. Ainsi,
Jeb Bush a aussitôt déclaré que les « bénéficiaires » de cette décision seront
les « abjects frères Castro, qui ont opprimé le peuple cubain depuis des
décennies ». Quant à John Boehner, président de la Chambre basse du Congrès, il
estime que ces mesures visant à lever certaines des restrictions sur l’île sont
de nouvelles « concessions à la dictature insensée qui maltraite son peuple et
revient à conspirer avec les ennemis ».
Opposition
farouche relayée par des figures de l’anticastrisme comme le sénateur de
Floride d’origine cubaine Marco Rubio, qui a promis de faire « tout son
possible » pour bloquer l’action du président au Congrès. L’élue
cubano-américaine de Floride, Ileana Ros-Lehtinen, a considéré pour sa part que
« l’action erronée du président Obama (…) est un autre coup de propagande pour
les frères Castro qui remplissent désormais leurs coffres avec plus d’argent,
au détriment du peuple cubain ».
Toutefois,
Obama trouvera peut-être une majorité au Congrès en faveur de sa nouvelle
politique car, outre le soutien sans faille de John Kerry et du chef de la
majorité démocrate du Sénat, Harry Reid, ainsi que des sénateurs Dick Durbin et
Jim McGovern, plusieurs sondages suggèrent que la plupart des Américains se
déclarent désormais en faveur d’une normalisation croissante des relations avec
Cuba.
Quant
aux réactions en Amérique latine, elles sont unanimement favorables. Pour le
secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), Ernesto
Samper, « il est temps de penser à une relance des relations hémisphériques
avec les Etats-Unis ». Pour le secrétaire général de l’Organisation des Etats
américains (OEA), José Miguel Insulza, les deux parties ont fait preuve d’une «
remarquable grandeur d’âme » et il a exhorté le Congrès américain à « prendre
les mesures législatives nécessaires pour lever l’embargo contre Cuba ».
Le
président du Panama, Juan Carlos Varela, a espéré que cela permettra
d’accomplir le « rêve » d’avoir une « région unie » lors du septième sommet des
Amériques, que son pays accueillera en avril 2015. Cuba (qui refusait de
rejoindre l’OEA, malgré l’invitation officielle qui lui a été faite en juin
2009) a déjà confirmé sa participation au sommet, et Obama a annoncé qu’il sera
présent les 10 et 11 avril avec ses pairs du reste de l’Amérique.
Au
demeurant, l’engagement des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba dépend de deux
éléments. Le premier, que l’action du lobby anticastriste au Congrès ne soit
qu’un baroud d’honneur, obtenant au maximum une résolution condamnant l’action
du président qui serait symbolique mais avec peu d’effets pratiques. Le second
élément consiste dans les changements qu’est prêt à faire le gouvernement
cubain. Certes, une autre concession cubaine à consisté dans la libération de
65 dissidents emprisonnés. Mais rien ne garantit que Cuba soit prêt à court
terme à tolérer la dissidence et à cesser de persécuter les opposants.
La
libéralisation politique du régime cubain sera sans doute un processus de
longue haleine. Toutefois, la logorrhée anti-impérialiste, ciment du peuple
cubain avec ses dirigeants contre l’adversité, perd avec la levée de l’embargo
son plus solide argument de propagande. Gageons donc de la sagesse du peuple
américain et de ses représentants.
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